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Guillaume Pépy fait ses annonces aux Échos – Jean-Cyril Spinetta et autres rapporteurs, les membres du Gouvernement, les élus qui ont voté la réforme de la SNCF sont des amateurs en culotte courte

Interview aux Échos – Publiée sur internet le 4 octobre 2018

 

Guillaume Pepy : « Il ne peut pas y avoir de SNCF à deux vitesses » Le 04/10 à 06:30Mis à jour à 06:46

 

« Il faut absolument accélérer notre préparation à l’arrivée de la concurrence, même si beaucoup a déjà été fait », indique Guillaume Pepy.

Le patron du groupe ferroviaire dévoile les contours de la « nouvelle SNCF ». Il annonce, dans le cadre du futur contrat social, que des efforts seront demandés aux salariés sous statut.

Préparation de l’ouverture à la concurrence, nouveau pacte social, offensive commerciale… A l’occasion du séminaire annuel des cadres de la SNCF, qui se tient mercredi et jeudi au Stade de France, le patron du groupe Guillaume Pepy présente dans une interview aux « Echos » ce que sera la « nouvelle SNCF » issue de la réforme ferroviaire.

 

Où en êtes-vous dans la mise en pratique de la réforme ferroviaire votée au printemps ?

Nous faisons feu de tout bois. Au 1er janvier 2020, il faut un nouveau groupe, largement transformé et prêt à fonctionner. Pour la SNCF, ce sera une seconde naissance, comparable à la création de l’entreprise en 1937. Cela réussira grâce à la mobilisation du management et des salariés. Nous le faisons en approfondissant la stratégie actuelle, et avec une double obsession. D’abord, délivrer la promesse faite aux clients pendant la réforme : plus de trains, et des transports de meilleure qualité. Avec un focus particulier sur nos fondamentaux, que sont la sécurité, la régularité et l’information voyageurs. Dans le même temps, il faut être prêt à  affronter la concurrence . Dans quinze mois, les premières décisions d’appels d’offres vont tomber. Il faut absolument accélérer notre préparation, même si beaucoup a déjà été fait.

 

Qui seront vos futurs concurrents ?

Certains sont attendus, comme Transdev, RATP, Trenitalia ou Deutsche Bahn, les « collègues » du secteur. Mais de nouveaux acteurs vont apparaître dans la chaîne de valeur, notamment des plates-formes, comme Flixbus, qui est déjà devenu en Allemagne Flixtrain. Dans un marché qui s’ouvre, les frontières bougent : Engie est notre fournisseur d’énergie, mais le groupe est aussi intégrateur de solutions systèmes dans un appel d’offres à Toronto, en concurrence avec notre consortium ! Nous devons nous préparer à ce nouveau monde.

 

Pour cela, il vous faut améliorer votre productivité…

C’est un chantier majeur pour l’ensemble du groupe : nous devons réduire tous les coûts du ferroviaire. Dans les quatre ans qui viennent, nous devons réduire des deux-tiers l’écart qui nous sépare de nos futurs concurrents. Nous continuerons à gagner en efficacité industrielle, grâce au numérique. Nous avons par exemple présenté un prototype de train fret digital, qui affiche 30 % de gains de productivité sur tous les processus de production, alors que les progrès étaient marginaux depuis cinquante ans. Mais les gains de productivité passeront également par la construction d’un nouveau pacte social, la remise à plat de l’organisation du travail au niveau local, une polyvalence accrue… Au total, les gains de productivité doivent passer de 2,2 % par an en moyenne à près de 3 %.

 

Après la grève historiquement longue de ce printemps, les salariés sont-ils prêts à vous suivre ?

Ils veulent aller de l’avant. Nombre d’entre eux conservent une opinion négative de la réforme , mais maintenant, un nouveau chapitre s’ouvre. Les cheminots veulent des réponses sur leur avenir. Sur ce point, le sujet des compétences est crucial : d’ici à 2026, de 10 à 15 % des 140.000 postes actuels vont disparaître du fait de la digitalisation. D’autres vont naître de la croissance du trafic et des innovations industrielles. Et 35 % des postes vont voir leur contenu changer radicalement. Pour une entreprise industrielle, c’est un choc sans précédent. Les salariés se posent des questions sur le maintien de leur employabilité. Nous leur apporterons des réponses précises.

 

Que prévoyez-vous ?

Nous allons conduire un programme sans précédent de développement des compétences de près de 1 milliard d’euros. Et nous allons favoriser la mobilité, géographique et professionnelle, à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du groupe, pour ceux qui voudront poursuivre un autre projet. Par ailleurs, il ne peut y avoir de SNCF à deux vitesses, avec les statutaires, d’un côté, et les nouveaux salariés, de l’autre. Le nouveau pacte social concernera donc tous les cheminots. Il sera différent d’aujourd’hui, mais pas moins attractif, car sinon, nous aurions un problème de fidélisation et les meilleurs partiraient. Pour cela, nous allons payer plus cher les jeunes qui débutent leur carrière, et des dispositions du statut vont bouger. L’automaticité de la progression professionnelle ne disparaîtra pas, mais elle devra être renégociée avec les partenaires sociaux, afin que les salariés d’aujourd’hui comme ceux de demain soient traités avec équité.

 

Vous allez donc demander des efforts aux salariés sous statut ?

Oui, car une entreprise à deux vitesses, c’est ingérable. Le futur dispositif sera motivant et attractif pour tous. Et les garanties fondamentales du statut, sur l’emploi, le droit syndical ou encore le régime de retraite, seront préservées, même si la véritable garantie de l’emploi des cheminots repose sur les compétences.

 

Et côté clients ?

La nouvelle SNCF doit offrir à chacun la liberté de se déplacer facilement. Notre offre Ouigo, qui met le TGV à des prix low cost, doit gagner 13 millions de clients supplémentaires en 2018 et 2020. Dans les TER, grâce à des efforts marketing et à une meilleure segmentation de l’offre, nous avons déjà réussi à accroître de 5 % le trafic en dix-huit mois, et notre prévision repose sur 30 % de voyageurs en plus d’ici à 2025. Pour les déplacements de proximité, nous finalisons  le lancement de notre assistant personnel de mobilité, qui sera une application sur smartphone combinant des moyens de transport différents, sur une logique d’adresse à adresse.

 

Quand sera-t-il prêt ?

Il y aura fin octobre une première étape, avec la refonte complète de l’application SNCF, qui s’est compliquée au fur et à mesure que l’on augmentait le nombre d’informations à disposition. A partir de décembre, les voyageurs en Ile-de-France pourront se servir de leur smartphone comme titre de transport. Et début 2019, une série de partenaires VTC ou VLS (vélos en libre-service, NDLR) vont nous rejoindre. La possibilité de payer via l’appli, techniquement plus complexe, viendra plus tard.

 

Dans le même temps, vous explorez la possibilité de céder tout ou partie du capital de iDvroom, Ouicar et LeCab, vos sociétés dans les nouvelles mobilités. N’est-ce pas contradictoire ?

Il y a actuellement des consolidations dans le secteur des nouvelles mobilités, et nous voulons y participer. Par ailleurs, proposer des offres de transport sur notre assistant, cela ne veut pas dire forcément les fournir toutes nous-même.

 

La nouvelle SNCF sera-t-elle en meilleure santé financière que l’actuelle ?

En nous basant sur des hypothèses prudentes, nous anticipons une augmentation de 20 % du chiffre d’affaires en sept ans, et de la marge opérationnelle de 50 %. Nous n’allons plus reconstituer de dette avec un cash-flow opérationnel positif dès 2020. Le tout en maintenant un niveau très élevé d’investissements : 57 milliards d’euros d’ici à 2026. Car si nous voulons rester leader du marché, nous devons l’être aussi en termes d’innovation. Cela se traduira par des trains plus « verts », en travaillant sur l’hybride et l’hydrogène comme énergie de traction, pour faire disparaître à terme le diesel ferroviaire, mais aussi par un nouvel effort sur les gares, symbolisé par  le chantier de la gare du Nord . Un demi-milliard d’euros investi en quatre ans, nous n’avions jamais fait ça ! Tout comme nous n’avions jamais commandé 100 TGV en une seule fois, comme nous l’avons fait en juillet avec le TGV du futur. Et dans les transports de la vie quotidienne,  le chantier du RER E en cours dans la région parisienne représente 6 milliards d’investissement. Un train à 120 km/h toutes les 106 secondes sous Paris, cela ne s’est, là non plus, jamais fait.

 

Quels sont vos objectifs pour la branche marchandises ?

La réforme ferroviaire lève les handicaps lourds qui pesaient sur le fret ferroviaire. Tous les acteurs du secteur sont en train de préparer des nouveaux projets de développement, nous compris. C’est une perspective positive qui n’existait pas auparavant. Avec Geodis, nous sommes le numéro un français de la logistique d’ambition internationale, et nous voulons le rester. Notre marge moyenne est supérieure à celle du secteur, et nous avons adopté cet été un plan stratégique qui va conforter la rentabilité.  Nous sommes toujours ouverts à une acquisition , il faut trouver la bonne. Nous avons les moyens de la financer : la dette de SNCF Mobilités, qui représente trois fois l’Ebitda de l’entreprise, est stable depuis huit ans.

 

Quelle sera l’organisation du futur groupe ?

Le groupe public unifié sera composé de sociétés qui auront chacune leur conseil d’administration. Cela va responsabiliser l’ensemble des activités. C’est un choix extrêmement ambitieux qu’ont fait Édouard Philippe et Élizabeth Borne dans le cadre de la réforme, et qui consiste à faire de la SNCF une entreprise à part entière. La société anonyme de tête sera dans une logique de holding. Geodis lui sera rattaché, ainsi que le transport ferroviaire de marchandises. Les gares seront une filiale de SNCF Réseau. SNCF Mobilités deviendra Mobilité voyageurs, avec Keolis comme filiale. C’est un véritable new deal : nous allons passer du statut d’établissement placé sous la tutelle de l’État à celui d’une véritable société, pleinement responsabilisée, 100 % publique.