Grand angle
Le Lot siffle les arrêts
Par Benoît BAUME — 14 janvier 2009 à 06:52
Depuis plus d’un an, des élus et des habitants de Gourdon et Souillac bloquent les passages du Paris-Toulouse. L’Etat et la SNCF contre-attaquent et des membres de l’association seront jugés demain.
- Le Lot siffle les arrêts
Muni d’un billet Paris-Cahors sur le train Corail Teoz 3641 du vendredi, qui quitte la gare Paris-Austerlitz à 14 h03, il faudra presque cinq heures pour arriver sur le théâtre des opérations. Entre Brive et Cahors, sur une centaine de kilomètres, aucun arrêt n’est prévu. Pourtant à Souillac (Lot), le contrôleur annonce : «Attention, notre train risque de s’arrêter en pleine voie. Pour votre sécurité, merci de ne pas descendre. Ceci n’est pas un arrêt prévu.» Sur les quais, 150 manifestants attendent le convoi qui est bloqué deux minutes afin de permettre la montée et la descente des passagers qui le souhaitent. L’ambiance est bon enfant, Le train repart.
Moins de quinze minutes plus tard, l’approche de la gare de Gourdon (Lot) est annoncée par de nombreux sifflets. Ils sont plus de 300 manifestants dans le froid à attendre ce train qui passe mais ne s’arrête plus en principe depuis décembre 2007. Il fait – 7° C, mais l’ambiance est chaude et le scénario bien rodé. Les membres de l’association «Tous ensemble pour les gares» se mettent sur le bord du quai avec de nombreuses pancartes. Si le train ne fait pas mine de s’arrêter, ils descendent sur les voies pour le forcer à marquer l’arrêt.
La lutte dure depuis 71 semaines. A Gourdon et Souillac, les habitants ont créé une association, afin de contester la suppression unilatérale et sans concertation de quinze arrêts dans leurs villes par la SNCF. Ils bloquent les trains les vendredis et les lundis pour permettre aux usagers de monter et de descendre à un arrêt «citoyen». L’association, qui compte 1 800 adhérents, est soutenue par tous les élus locaux, sans exception. L’Etat, à travers la préfète du Lot, a décidé que la blague avait assez duré. Onze membres ou élus passeront à partir de demain devant le tribunal pour «entrave à la libre circulation des trains», en vertu d’une loi de 1845.
Bouillon et café
Retour sur le quai de la gare de Gourdon. Une dizaine de gendarmes observent les faits pour relever les infractions. Un huissier est mandaté par la SNCF pour faire de même. Les policiers des RG sont des habitués, désormais bien identifiés par la population. Un contrôleur empêche un lycéen de descendre «pour sa sécurité». Jérôme, 18 ans, prépare un bac pro à Limoges en internat. «Le vendredi, si l’association n’arrêtait pas le train, je serais obligé de descendre à Cahors, à 42 kilomètres, d’où il n’y a pas de correspondance pour revenir à Gourdon. Je serais bloqué car je n’ai pas le permis.»
Un cadre de la SNCF, qui porte le titre de «chef d’incident local», refuse de s’exprimer. Il promet qu’un responsable téléphonera à Libération. On attend toujours. Contacté à Paris, la SNCF renvoie sur la direction régionale de Toulouse qui explique : «Nous devons aussi penser aux voyageurs longue distance entre Paris et Toulouse qui veulent aller le plus vite possible.»
Du côté des gendarmes, le commandant de compagnie reste muet et évoque la nécessité d’appeler Cahors pour avoir un interlocuteur. Un de ses adjoints passe, un téléphone à la main : «Avec toutes les constatations de ce soir, il va bientôt nous falloir un deuxième classeur.» Aucun débordement n’a eu lieu et l’esprit reste pacifique et convivial.
Devant la gare, des tables à tréteaux avec bouillon de pot-au-feu et café. Toutes les classes sociales sont de la partie, toutes les sensibilités politiques, toutes les générations – même si les plus anciens sont les plus représentés. Plus de trente écharpes bleu-blanc-rouge se mêlent à la foule. Depuis le début du conflit, des élus, surtout socialistes, des 77 communes concernées sont venus manifester. Pour beaucoup, la préfète, Marcelle Pierrot, incarne le refus de dialogue de l’Etat. Au service de communication de la préfecture, on parle en revanche de «concertation régulière». Sollicitée à plusieurs reprises, la préfète n’a pas voulu nous répondre.
Des militants de Tous ensemble pour les gares se retrouvent au café-restaurant la Promenade. Le président, Merzouk Sider, qui travaille dans les matériaux écologistes pour la construction, résume la situation de Gourdon, sous-préfecture rurale de 4 900 habitants : «Nous avons perdu le tribunal d’instance, le périmètre de l’hôpital s’est considérablement réduit, les agences postales aux alentours ne cessent de fermer et Météo France a prévu de partir en 2012. Alors le train, il ne faut pas nous l’enlever. Nous ne sommes pas des sous-citoyens. La SNCF nous a expliqué qu’ils veulent gagner du temps sur le trajet Paris-Toulouse pour attirer plus de voyageurs. En fait, le voyage passe de 6 h 21 à 6 h 12. Un responsable régional nous a même dit que la SNCF était à la nanoseconde.»
«On n’a jamais rien cassé»
Derrière ces quinze arrêts supprimés à Gourdon et Souillac sur les quarante-cinq prévus chaque semaine, c’est bien l’existence même de la gare qui est en jeu. «Le personnel de la gare de Gourdon a été diminué. A terme, il pourrait ne plus y avoir que des TER qui dépendent des régions», explique Merzouk Sider. Grâce à l’action de l’association, cinq arrêts ont été remis en service, en mai, mais pas ceux du lundi et vendredi soir, les plus utilisés par la population et les touristes.
Ce jeudi, Merzouk Sider passe devant le tribunal correctionnel de Cahors avec Jean-Michel Vignot, le vice-président de l’association, pour être descendus sur les voies. «Ils aimeraient bien que l’on soit des extrémistes de gauche, ce serait plus facile pour eux. Or, nous n’avons jamais rien cassé et les gens ont mille raisons de lutter pour que le train continue de s’arrêter. Je viens juste d’avoir un coup de fil d’un responsable de la mairie de Millau qui veut savoir comment nous sommes organisés car ils vont avoir des problèmes avec leurs trains.» Depuis décembre, l’Etat et la SNCF ont en effet durci le ton. Une réunion s’est tenue à la préfecture : «Si vous n’arrêtez pas le blocage des trains, les poursuites vont suivre. Sinon, on oublie tout.» Puis la préfète a envoyé 140 gendarmes mobiles pour empêcher l’accès à la gare. «Nous étions 80 ce jour, dont 35 ménopausées et 35 prostatiques», rigole Jacques.
Le lycée change d’horaires
Samedi matin, au marché à la truffe de Gourdon, l’association fait signer une pétition contre les poursuites judiciaires et enrôle de nouveaux adhérents. Les politiques sont de la partie. Marie-Odile Delcamp, maire PS fraîchement élue et conseillère régionale Midi-Pyrénées, ne comprend pas l’attitude de la SNCF. «Ils suppriment les arrêts et disent qu’il faut les remplacer par des TER qui dépendent de la région. Or, nous avons un plan rail approuvé par tous les partis qui dure jusqu’en 2013. La région a déjà déboursé plus de 400 millions d’euros pour rénover les voies du réseau. A chacun son boulot. Nous avons fait le nôtre, à la SNCF de faire le sien en maintenant les arrêts.»
Le Lot est pourtant un département pilote dans le cadre d’Organisation des services de l’Etat (Projet OSE). Pour Gérard Micquel (PS), président du Conseil général et sénateur, «l’affaire a été très mal engagée par la SNCF qui traite cela de manière technocratique. Ils veulent remplacer des trains par des bus au moment du Grenelle de l’environnement.» Claude Vigier, proviseur du lycée Louis-Vicat de BTP à Souillac, explique la situation. «J’ai dû changer les horaires. Au lieu de 18 heures, nous arrêtons les cours à 17 heures pour que les élèves puissent prendre le dernier train de 17 h 44. Ils n’ont plus qu’une heure de pause à midi contre deux avant.» A Souillac, à quelques kilomètres de là, le maire Jean-Claude Laval (PS) estime qu’il s’agit d’une question de survie pour le département. «Dans le Lot, nous ne sommes que 170 000 habitants qui, en plus, votent à gauche. Nous sommes moins bien desservis par les services publics que voici quarante ans. Si nous acceptons la fermeture des gares, nous sommes condamnés.»
L’histoire de Gourdon et Souillac pourrait durer au vu de la bataille du rail menée par les habitants de Plouaret-Tregor (Côtes-d’Armor). Au terme de dix ans de combat (1989-2000), marqués par le blocage régulier du TGV Paris-Brest, ils ont eu gain de cause avec l’électrification de la ligne et les arrêts des TGV dans ces deux gares. Après un repas de cèpes et de canard, chez Claude, membre de l’association et ancien cheminot, il faut prendre le train de retour en gare de Gourdon, à 0 h 20. Cette fois-ci, l’arrêt est prévu par la SNCF.
photos PATRICK GRIPE. Signatures